samedi 24 juillet 2010

Critique indienne

C'est le volume Modernité indienne qui m'a mise sur la piste - scholarship français donc, jeunes chercheuses, ces pousses, ces champs ouverts, l'énergie qui en monte - : Amit Chaudhuri's Picador Book of Modern Indian Writing, 2001. Et ses points d'insistance, le principal étant celui qui note l'absence d'une solide tradition de critique littéraire moderne, et qui encourage, accompagne, contribue à, son développement. En incluant dans l'anthologie non seulement des catégorisations par régions/langues, mais aussi par genres et para-littératures qui font "une littérature" : l'autobiographie, l'essai (ethno-travel par exemple), l'essai critique.
L'incisif ici : déjà Bakimchandra, Dutt, Tagore, Bhuddhadev Bose, nécessairement, historiquement ; mais Ramanujan, A. K. Mehrotra. Chaudhuri lui-même, voix englobante ici.
C'est là que ça commence.

Colonial discourse analysis, et histoire littéraire

Rappel très fin de Robert Young, à la journée d'étude P8 de juin : que "postcolonial studies" ont été créée selon le projet très spécifié de colonial discourse analysis. Soit : depuis English mais déjà en traverse disciplinaire, et certainement déjà en porte à faux par rapport à Commonwealth Literatures etc. Rapport bancal depuis : qui produit ses angles, ses dégagements, ses aperçus inédits dans les angles morts.
C'était en effet une invention scientifique particulière, pénétrante, a recasting of the relational notion of language/power, language/history, language/culture/nation/state. Qui place la littérature autrement, la culture autrement (identifiée par Said : écoute de "politics of culture"). Le peuple très autrement, le politique, la nation, la modernité, etc.
Garder ce tranchant, dans son histoire.

Et voir comment, le paradigme postcolonial s'étant majorisé, les études littéraires montrent comment elles ont continué à travailler, pendant, derrière, dans. Comment leur voix reste, en polyphonie, et non supplantée : histoire littéraire susbstantielle dans A. James Arnold, 3 vol. A History of Literature in the Caribbean (vol 3, Cross-cultural studies, 1997) ; dans la nouvelle entreprise d'envergure par CUP, The C. History ot English Literature - ici, volume 1660-1780, John Richetti ed., 2005 (premières lignes : "In these early years of the new century, there is an urgent need to rewrite the literary histories of Britain that are now nearly a hundred year old and showing their age for contemporary students and scholars."). Le voir aussi dans Amit Chaudhuri, anthologie de la littérature indienne contemporaine : la place qui continue d'être celle de la littérature, et du travail de sa critique, et de son historiographie ; non mangées par la machine postco.

jeudi 22 juillet 2010

Inventions littéraires, peuples

De ces poussées majeures, par le littéraire : je les ressens maintenant, il a fallu si longtemps pour approprier les récits lissés, les culturalismes, percer les vitrines de la Culture, de "l'histoire littéraire" et du "roman". Mary Barton, Gaskell. Adam Bede, G. Eliot. Ces logothètes. Peupleuses.

Race, nation, classe ; peuple

. Balibar et Wallerstein, Race, nation, classe, 1988, déterminant. ça change le monde. ça y est, "national" est bien décollé, maintenant pour moi - bien le réflexe acquis de la prendre comme une formation historique, et sa puissante histoire de poussé idéologique, chaque fois et dans tous les contextes, jusque partout ces contextes.
De même plus évidemment, "race". Comme une formation discursive, aux pouvoirs exorbitants.

. Paul Gilroy's There Ain't No Black, 1987. Le plaisir, enthousiasme, populiste, du récit de luttes et de formation ; un peuple, un nationalisme culturel [l'appeler nationalisme? De même, Nation of Islam?], le courage de son histoire, la lourdeur sidérante des enjeux et des pressions. Grand récit en action, récupératif, réinscriptif, un epos théorique-historique qui a son émotion, et qui a son immense validité pour moi de frayer à travers des fourrés d'ignorance.
Le terrain d'un travail de peupleur, peuplement - "dépeupleur" de "race" : ce qui est et ce qui n'est pas du politique. Ce qui pense et ce qui faillit à penser le politique. (Ici explicitement : critique des sociologismes et des économismes - marxistes singulièrement puisque c'est du marxisme qu'on attend beaucoup - pour l'idéalisme universaliste du concept de classe, devant les nouveaux "mouvements sociaux" [Gorz, Bookchin, Castells] et autres traverses également politiques, qui fait poussée de minoritaire dans la catégorie marxiste : gender, race, ethnicity, urban, grassroots, community etc.)
Le "populisme démocratique" que chante Gilroy, le "capitalisme racial" qu'il souligne nettement comme structure profonde justement aveugle dans ce qui reste idéalisme marxiste.
Le carnaval (riots, Notting Hill, Brixton, 1981, 1985... Mais aussi je pense aux travaux sur le carnaval et le grotesque dans la littérature caribéenne (volume 3 de J. Arnold), au carnaval comme retravail de l'histoire, embrayage complexe et diversement fertile du non-peuple peuple) : que les participants font des récits sur "riots" de 1985 comme "a real family night out", joy freedom and pleasure, "it was lovely, I felt free", "People were so warm, they said 'glad to be with you, brother' and put their arm around you", "it was really joyful, that's what [the media] all leave out, the 'joy'" (326). Le carnaval : are we something? I can understand the joy. My sentimentality here, the fiber of it. Populisme. Quand le peuple se prend pour quelque chose, peuple. S'appuie, éventuellement un moment. Il a y ces nationalismes stratégiques, opératoires, qu'a pointés Spivak utilement. Et --

Les lignes de question, qui poussent et demandent :

1. il y a des cultures de l'anomie. Des cultures subalternes, qu'on peut retravailler, philologiquement (l'Allemagne à partir de Herder), historiographiquement (Guha et les Sub studies), politiquement par une histoire idéologique, etc. Faire une histoire des "peuples sans histoire", ce travail courant, d'archéologie alternative (ou même pas forcément si oppositionnelle, simplement le mouvement de la recherche) et de composition symbolique, sémantique, politique. Ce que fait Gilroy avec l'histoire noire, qui nécessite la recomposition transnationale des perspectives historiques (Black Atlantic) par exemple, et passe par l'étude serrée de l'histoire de, et du travail de l'histoire dans, les productions et inventions musicales noires, diasporiques, et jusqu'à mainstream.
Mais ça pousse plus crûment encore, tout à fait aveugle et persistant comme une force de la nature, force anthropologique du sens politique : il y a des cultures de l'anomie (voir l'invention de la sociologie par l'étude de la socialité du suicide, Durkheim), des cultures de la violence, de la criminalité, des atrocités, etc. Histoire composable, et socialités empiriquement vécues, archivables, sémantisables. Des formes parfaitement articulées et sémantiques de.

2. mais aussi vrai : (quelque chose donc à repenser, si les deux lignes doivent tenir) il y a des non-cultures, des anomies, des non-sens politiques ou historiques ; des inanités, des historiquement négligeables ? Des indigences culturelles, sociales, politiques. Tristes tropiques et al. (là j'approche de mon problème, la pertinence historique, pertinence "humaine" : tout peut-il être happé par un sens? Dont, en particulier, par une science? Comment ça marche?) Un cas en particulier : les mouvements, organisations, qui ne font pas politique, pas peuple. Ceux qui ne débouchent pas sur une agency, qui restent des localismes activistes, des infra-politique - où alors social et culturel justement n'équivaut pas à politique. Comment ça marche? Question, justement, des "mouvements sociaux", nouvel acteur du jeu politique après les 80s.

mercredi 7 juillet 2010

Peuples irlandais

Les savoirs anthropologiques, politiques, qui jaillissent des cassures, partitions, déchirements insupportables, souffrances d'oppression et séquences de défaites nationales, de l'histoire irlandaise coloniale.
Seamus Deane, Celtic Revivals, 1985, les prend depuis le prisme de l'essai sériel sur "Modern Irish Literature", une catégorie qui fait ici plus de travail (ou simplement montre le travail que fait, éventuellement plus souterrain) que celle qu'on pourrait prendre d'une périodisation-nationalisation du point de vue en histoire littéraire. Modern Irish Literature l'enjeu et le théâtre de luttes déclarées, nommées, documentées.

Deane écrit à l'essai - difficultés pour suivre ses mouvements et ses implications, le projet étant gardé implicite. Mais les tranchants qu'il fait agir émergent bien, et beaucoup de suggestion en sont découpées dans le tissu, la grande couverture neutralisante, de "l'histoire littéraire".
. d'abord concernant le conservatisme culturel des entreprises de nationalisme par la culture. Formation réactive, révolutionnaire (Yeats, Pearse) mais finissant en autoritarisme (Yeats prolongeant Burke), en ironie (le succès poétique de Joyce, son intelligence politique-rhétorique), en héroïcisation déshistoricisante-dépolitisante (mon cher Synge, Pearse plus évidemment).
. la culture comme évitement de l'historique et du politique - l'histoire irlandaise étant celle du "nightmare" de Stephen.
. le point de vue par "l'intelligentsia irlandaise" : faire cette histoire littéraire (délinéarisée, dans ce volume : peut-être là aussi une dynamique propre au projet, pour détotaliser, délisser; travailler dans les cassures, et en-dessous des explications) par l'histoire logomachique. Où il situe Joyce comme non pas répudiateur du nationalisme irlandais (Parnell-Moses) mais son explorateur en discursivité : non pas la performance d'un peuple - l'invention de la tradition ; faire advenir culturellement un peuple politiquement impossible, héroïsmes - mais la performance de la performance politique. His "ironic method". Non l'esthétisme escapiste, mais
le travail dans l'épais du langage comme milieu constitutif du politique. "In revealing the essentially fictive [ie patterning, "arbitrary and systematic"] nature of political imagining, ..." (107). Ce n'est pas tout à fait toute l'histoire, mais. (Sinon ce serait simplement un scénario post-moderne, où ou retrouverait le circuit déjà balisé entre postmod & postcol. Montrer l'arbitraire, son jeu. Ce qu'il y a à montrer aussi, c'est le défaut de ce système : les positions dépossédées du pouvoir de sémantisme. Dont les énoncés ne valent pas.).

"L'intelligentsia" fait un petit déplacement par rapport aux classiques entrepreneurs philologiques, folkloristes, culturalistes, Revivalists & Gaelic Leaguers : le point de vue s'arrête à un plan de pouvoir, de mordant conflictuel, directement politique, question de classe et de nation comme Etat (ou non).

Joyce et le travail du langage : (106) "He belonged to a culture in which there was no congruence between established structures and political or social rhetoric. The various efforts to establish such a congruence wereall failures. No group had its ambitions realized. Home Rulers, republicans, unionists, Anglo-Irish, socialists, Irish language enthusiasts, were all disappointed by what finally emerged in the 20s and 30s." Soit : relation coloniale profonde, où la dextérité verbale (blarney, etc.) est un accompagnement d'un décrochement du performatif politique du discours ; un langage sans "voix" au sens politique (électoral, parlementaire, national). Mots mais non discours - le plan de l'art, dans cette situation : sentimental political ballads, the politics of poetry, of Gaelic retrieval... Langue de bois, parole vide, (mimicry-ventriloquy ; mais c'est autre chose encore qui est décollé ici).
Voir S. Suleri on The Rhetoric of British India.