mercredi 7 juillet 2010

Peuples irlandais

Les savoirs anthropologiques, politiques, qui jaillissent des cassures, partitions, déchirements insupportables, souffrances d'oppression et séquences de défaites nationales, de l'histoire irlandaise coloniale.
Seamus Deane, Celtic Revivals, 1985, les prend depuis le prisme de l'essai sériel sur "Modern Irish Literature", une catégorie qui fait ici plus de travail (ou simplement montre le travail que fait, éventuellement plus souterrain) que celle qu'on pourrait prendre d'une périodisation-nationalisation du point de vue en histoire littéraire. Modern Irish Literature l'enjeu et le théâtre de luttes déclarées, nommées, documentées.

Deane écrit à l'essai - difficultés pour suivre ses mouvements et ses implications, le projet étant gardé implicite. Mais les tranchants qu'il fait agir émergent bien, et beaucoup de suggestion en sont découpées dans le tissu, la grande couverture neutralisante, de "l'histoire littéraire".
. d'abord concernant le conservatisme culturel des entreprises de nationalisme par la culture. Formation réactive, révolutionnaire (Yeats, Pearse) mais finissant en autoritarisme (Yeats prolongeant Burke), en ironie (le succès poétique de Joyce, son intelligence politique-rhétorique), en héroïcisation déshistoricisante-dépolitisante (mon cher Synge, Pearse plus évidemment).
. la culture comme évitement de l'historique et du politique - l'histoire irlandaise étant celle du "nightmare" de Stephen.
. le point de vue par "l'intelligentsia irlandaise" : faire cette histoire littéraire (délinéarisée, dans ce volume : peut-être là aussi une dynamique propre au projet, pour détotaliser, délisser; travailler dans les cassures, et en-dessous des explications) par l'histoire logomachique. Où il situe Joyce comme non pas répudiateur du nationalisme irlandais (Parnell-Moses) mais son explorateur en discursivité : non pas la performance d'un peuple - l'invention de la tradition ; faire advenir culturellement un peuple politiquement impossible, héroïsmes - mais la performance de la performance politique. His "ironic method". Non l'esthétisme escapiste, mais
le travail dans l'épais du langage comme milieu constitutif du politique. "In revealing the essentially fictive [ie patterning, "arbitrary and systematic"] nature of political imagining, ..." (107). Ce n'est pas tout à fait toute l'histoire, mais. (Sinon ce serait simplement un scénario post-moderne, où ou retrouverait le circuit déjà balisé entre postmod & postcol. Montrer l'arbitraire, son jeu. Ce qu'il y a à montrer aussi, c'est le défaut de ce système : les positions dépossédées du pouvoir de sémantisme. Dont les énoncés ne valent pas.).

"L'intelligentsia" fait un petit déplacement par rapport aux classiques entrepreneurs philologiques, folkloristes, culturalistes, Revivalists & Gaelic Leaguers : le point de vue s'arrête à un plan de pouvoir, de mordant conflictuel, directement politique, question de classe et de nation comme Etat (ou non).

Joyce et le travail du langage : (106) "He belonged to a culture in which there was no congruence between established structures and political or social rhetoric. The various efforts to establish such a congruence wereall failures. No group had its ambitions realized. Home Rulers, republicans, unionists, Anglo-Irish, socialists, Irish language enthusiasts, were all disappointed by what finally emerged in the 20s and 30s." Soit : relation coloniale profonde, où la dextérité verbale (blarney, etc.) est un accompagnement d'un décrochement du performatif politique du discours ; un langage sans "voix" au sens politique (électoral, parlementaire, national). Mots mais non discours - le plan de l'art, dans cette situation : sentimental political ballads, the politics of poetry, of Gaelic retrieval... Langue de bois, parole vide, (mimicry-ventriloquy ; mais c'est autre chose encore qui est décollé ici).
Voir S. Suleri on The Rhetoric of British India.

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