lundi 8 septembre 2008

Culture et politique dans le colonialisme

Le colonialisme est ici. Fait de l'Inde l'ici du 19ème siècle britannique (et celui du 21ème siècle des anglicistes, y compris français). Ce n'est pas une question de l'autre ; pas une question de l'altruisme politique, pas prioritairement une question de l'injustice politique.

De même que la "forme affaire" peut donner, sociologiquement, à Boltanski l'intuition de faire de l' indignation un objet d'étude du "sentiment"(Saussure) sociologique (cf Affaires, scandales et grandes causes. De Socrate à Pinochet, 2007 , Stock- L. Boltanski, E. Claverie, N. Offenstadt, S. Van Damme dir. La dernière partie du volume : "L'indignation, objet des sciences sociales". Etude de Cyril Lemieux sur "l'accusation tolérante", et les "rapports entre commérage, scandale et affaire" ; et de L. Boltanski et E. Claverie sur le "monde social en tant que scène d'un procès")
De même donc que l'indignation, sentiment sociologique et objet pour la sociologie : dans le colonialisme, dans l'indignation anticolonialiste des liberal intellectuals - c'est bien une position de parole, qui a ses institutions et son histoire, sociale et intellectuelle (American academe, par ex.) -, une idéologie des minorités [culturalisme] qui n'est pas celle de la minorité [civilisme], et qui refait, généreusement, moralisatrice au nom de l'autre, la politique de l'identité.
La manoeuvre (avec tous ses degrés d'innocence ou non, et tous ses stades de l'altruisme au paternalisme) est celle de la substitution de la morale au politique. Ordinairement dépolitisante et déshistoricisante.

Le colonialisme ne concerne pas l'Autre, moralement et culturellement, mais le nous et l'ici, politiquement : c'est-à-dire au lieu où politique, éthique et culture et société civile sont noués inextricablement, pour former la cité, "vie des peuples".

Je pars de la question des administrateurs coloniaux. De la qualité de l'administration coloniale, et de ses employés. C'est le point de question que pointe G. Viswanathan dans Masks of Conquest (1989), en retraçant l'évolution de la politique coloniale britannique en Inde comme politique culturelle : passage de l'orientalisme mis en place par Warren Hastings (1774-1785) à la réorientation angliciste de Lord Cornwallis (1786-1793).
Oui, le pouvoir aux Indes - en Afrique du Nord française, etc. - est géré par des administrateurs coloniaux (G. Orwell, L. Woolf en font entendre les échos at home), puisqu'il n'y a pas de démocratie locale. Contrôle politique direct et unique : qui découple le social, le culturel, du politique. Et fait émerger le plan de la morale. Autonomisation, qui fait qu'une politique coloniale peut se faire par une politique culturelle. La question étant celle du rapport, artificiel, qui doit s'ingénier pour suppléer à l'articulation culturelle de la société au pouvoir. Ce sera, en Inde, une politique éducative, et la littérature son instrument. La littérature comme lien culturel, moral. Comme société et police de susbtitution. (Avec cette ironie, soulignée par Viswanathan, de savoir que c'est à la moralité des britanniques coloniaux qu'il y a à remédier, par l'éducation compensatoire des "natives".)
Le rapport entre culture et pouvoir est mis en question, tendu, par la situation coloniale : pas (seulement?) parce qu'il jaillit d'une injustice politique à grande échelle, mais parce qu'il tend les questions et les principes politiques des nations métropolitaines : question de la gouvernementalité, avec ses checks and balances nécessaires at home, par le fait de la monarchie parlementaire et de la représentation. Colonies ; lieu de pur pouvoir ; extension naturelle du politique, quand il a free rein et part en vrille. D'où aussi ses fragilités, et ses paranoïas ; ses impossibles politiques, nécessairement.

Moins une question de justice politique à l'échelle géopolitique, qu'une question de la pratique du pouvoir possible, avec ses histoires - on change de grand récit d'intelligibilité, alors. Gouvernementalités. Exercices et expériences du libéralisme britannique (la East India Company dans ses démêlés avec la Couronne, et avec les autres lobbies du Free Trade), par exemple. Pour la France, une autre trajectoire.

Question de notre réflexion, notre problème politique, donc.
Pas la question de la "repentance" - qui est un autre débat, à voir -, mais celle de la démocratie, maintenant.

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