mardi 2 septembre 2008

Enonciation théorique : en situation

Forcée de prendre le rythme, en rechignant, des démêlés ordinaires sur le pouvoir de la theory, à partir de Paul Jahshan dans R. Ghosh, ceci, bien au bout des doigts : qu'il s'agit, si on veut entreprendre la question du rapport de la théorie au pouvoir, de s'en donner les moyens. Se mettre, pour commencer, en rapport avec les pensées du pouvoir - pour éviter de s'en remettre à un "sentiment" politique, comme Saussure parle de sentiment linguistique, qui a sa vérité pragmatique, mais aussi son maillage complexe dans les tissus de l'idéologie, ou culture. Ce qu'il y a à éviter : la morale de la dénonciation, symptôme immédiat d'un blocage positionnel théorique ; et/ou l'opinion qui n'est pas le scholarship. (Alors que le travail est justement ce déplacement du jeu même des positions.)

Le débat sur la théorie, et son baromètre plus ou moins sérieusement haut (parce qu'on peut aussi y jouer), sur le terrorisme / théorisme, ne mordra sur pas grand chose tant que ne sera pas introduit dans l'équation, dans la situation, la dimension culturelle, énonciative, des énoncés et positionnements.
Que Hillis Miller ait à soutenir une carrière théorique entière sur l'insistance de la "résistance" et de la lecture (résistance à la lecture, résistance de la lecture), contre les théorismes qui tournent à vide, a un sens particulier dans son milieu académique ; il peut avoir l'air d'un storm in a teacup et toy debate depuis la France (voir ce que c'est, ça - laisser ouvert of course), mais il a un sens décisif dans sa situation d'énonciation. Dans un milieu où la lecture n'a, culturellement et académiquement, pas les mêmes histoires que celles vécues en France ou depuis la France (et sa tradition scolaire rhétorique ; son rapport au texte, et aux Lettres). Expérience réelle, lourde, déterminante, de ces pressions, ces possibles et ces verrous ; dont il faut prendre la mesure pour entrer en dialogue, across-cultures, avec lui. Je ne fais que commencer à sentir comment faire ; la nécessité de faire - sentir que c'est là que ça se joue.
Dans le contexte américain, la scène sur laquelle se joue depuis 25 ans le débat contre la théorie a pour surdétermination les conditions dans lesquelles le academic a à se faire son identité scientifique - les structurations du "champ" [is that it ici? à voir], où exister passe, au mieux, par associer à son nom un révolutionnaire changement de paradigme. D'où la multiplication des "théories", et des "X studies". Quelque chose à voir du côté du libéralisme universitaire, comme structure politique de la parole scientifique. Qui est autre chose que le politisme à la louche des dénonciations d'hégémonie [et encore : le mot oubliant éventuellement sa discursivité depuis Gramsci].
Le projet de Ranjan Ghosh ( (In)fusion Approach ) m'apparaît comme prioritairement un acte d'identité, et de territorialisation, par une prise de parole et prise du pouvoir de (donner, distribuer, ordonner, inviter) la parole. Voir ce qu'il fait effectivement.

La question est de ne pas se tromper de plan pour les débats et les enjeux. Et ça doit commencer par la mesure, autant qu'on en a les moyens, par l'histoire et par la sociologie, des déterminations et forces dans les milieux discursifs. L'institutionnel - et Spivak a raison de regarder là. L'historique, le "culturel", le sociologique. Des moyens, perspectives, comme celles de Gerald Graff, de C. Charle, de Bourdieu : champ et partage du capital sémantique, capital énonciatif. Pouvoir d'énonciation, et non seulement d'énoncé.
D'où aussi la partie liée avec la question de savoir qui peut parler, dans un milieu de domination énonciative (il le sera nécessairement : pas de dénonciation à y faire valoir, mais certainement des stratégies de libérations de l'énergie critique, travail de la minorité, continu) : qui peut parler, à qui, de quoi. Subaltern speaking, agency : ces concepts et questions de la postcolonial theory toujours effectivement critiques.

=> comment chercher ça, en allant parler avec des collègues étrangers (indiens prochainement)? Quelles questions aiguiser pour toucher là? Il s'agit d'atteindre les comment, les pratiques, de la légitimité théorique, légitimité académique. Comment on acquiert une autorité de parole, voix au chapitre ; par quelles stratégies de champ, soit de carrière (outil de C. Charle, ici). Qui a droit à la parole ; qui peut enseigner, publier, déterminer les politique scientifiques. Quels sont les plus professionnels et théoriques. Quelles minorités sont actives, possibles, par la bande ; par la mouvement des innovations - à époque, j'imagine, de transformation importante et rapide. Comment le savoir s'est sort, se fait, est visible ; se fait grâce à ; se fait malgré et à travers, etc.
And "relentless erudition" toujours, sur les contextes discursifs.

Savoir et pouvoir ; terreur dans les Lettres ; pouvoir et "paradigmes".

Du mal à arriver à quelque chose de clair ici. Le comparatisme aide, comme d'habitude : les énoncés théoriques n'ont pas la même valeur, nature, et fonction, dans un milieu universitaire américain, anglais, français, indien, allemand... C'est par là qu'il faut regarder. S'y mélangent les questions d'histoire culturelle, d'histoire politique, de structurations institutionnelles, de sociologie etc.

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