jeudi 14 août 2008

L'étranger dans le savoir-pouvoir du XIXème

Arrivant vers la fin du Paradigme de l'étranger (Michel Espagne), et concluant le chapitre sur les études anglaises en particulier : plusieurs questions renstent pendantes, qu'il faut noter. C'est que le livre ouvre la soif pour cette information historique qui dessine un paysage très-nécessaire, et qui prend corps sous nos pieds : élucidation, intelligibilité, des substrats historiques, maintenant cryptés (tiens, oui - cryptage, comme marque d'obfuscation des générations de pouvoir, mais crypte, aussi : une histoire dont il n'y a plus d'interpréteurs, de passeurs. Héritage énigmatique, traces d'archaïsmes qui produit des outcrops étranges dans la pratique présente, sans qu'on songe assez à leur poser la question). Le roi n'est pas tout à fait nu - puisqu'il est toujours habillé du grand manteau flottant de l'histoire (Benjamin : l'histoire et la survie du langage, même labilité anthropologique).

. pourquoi le paradigme de l'étranger? Affiché en titre, le terme n'est pas repris, jusqu'ici, pour opérateur dans l'étude. Touche structuraliste un peu étrangère, non?, au travail d'histoire institutionnelle et culturelle. Certainement il s'agit de montrer, de recomposer et de souligner, l'histoire d'un phénomène culturel, propre au XIXème, qui serait "l'étranger", et "la littérature étrangère", se formant, s'implantant, croissant dans le milieu culturel français. Croissance d'un culturème, disons - et surtout d'un épistémème, disons : l'étranger prenant comme milieu d'implantation l'espace des facultés de lettres et les formations discursives frayant autour des littératures : revues, salons et conférences publiques. Unité d'histoire géopolitique, et en particulier du rapport de rivalité avec l'Allemagne, mais active dans le milieu du savoir-pouvoir. Le pointer par "paradigme" : souligne, un peu discrètement quand même, qu'il s'agit d'épistémè? (comment Foucault est contemporain d'une queue de comète structuraliste - Et sans doute aussi comment l'entreprise de M. Espagne a à se situer dans les études germanistes françaises, ou depuis elles, dans les années 1990).

. on voudrait maintenant savoir plus sur l'apparation discursive de notions si puissantes à modeler les manières de faire les disciplines des langues-et-cultures-étrangères : où quand par quelles voix apparaît dans le discours normal l'expression-notion d' "aire culturelle" (si la réalité de cet opérateur de cartographie institutionnelle est sensible à partir des années 1880, pour l'anglais par exemple) ; et celle d' "études anglaises" - qui n'est pas l'anglistique allemande, ni les Modern Languages anglaises (sont-elles, elles, héritières de la "philologie moderne" allemande, en suite à la "philologie" centrée sur l'Antiquité grecque et latine?). Espagne parle de, affiche, la germanistique, l'italianisme et l'hispanisme. Pour les autres aires, il donne "langues méridionales", et "textes slaves" : pas assez puissants pour instituer des territoires institutionnels ni des corps disciplinaires. Il faut faire une histoire de ces naissances normatives.

. il me manque un chapitre qui porte la même attention identificatoire à la constitution du champ comparatiste. F. Baldensperger, Joseph Texte (premier comparatiste en titre), et alii son présents, mais le territoire reste hors champ. C'est le différentiel territorial qui m'intéresse tout particulièrement : comment l'étranger se ramifie en comparatisme d'un côté, et spécialités des aires culturelles de l'autre. Comment l'étranger se défait, sous la pression culturelle du tropisme dix-neuviémiste européen : les nationalités.

. il me manque aussi la vue sur cet autre hors-champ, qui est nécessairement force modelante de celui-ci : la littérature française, nécessairement en train de travailler son identité disciplinaire dans le mouvement de l'université nouvelle dans les 1880s. M'intéresse : comment la hiérarchie des disciplines, la littérature française lording it over les étrangères, se met en place, qui donne aux champs des "LCE/LLCE" leur position ancillaire - position non universitaire (non statut), mais sociologique (comme, donc, plusieurs institutions vivent superposées, partiellement intersectées : institutions et normes. Les superpositions, et viscosités dans la dimension de l'histoire, de la forme politique, culturelle, sociologique - pour ne penser qu'à elles). Comment la littérature française se déroule et prend son terrain sur un autre plan historique : l'héritage des Belles-Lettres et de l'esprit et des salons, l'emmêlement dans une socialité de la littérature qui lui rend la disciplinarisation plus complexe et plus politiquement tensive (il serait prévisible que s'y marque plus de conservatisme, et des antagonismes avec les modernisateurs plus tendus - à voir) : l'héritage universitaire propre aussi, du côté les Lettres, de la rhétorique (still enigmatic to me) ; des cours publics sans doute et de la belle parole, éloquence, mondanité, style.

. faudrait aussi voir le processus d'apparition, d'identification, de "civilivation" ; ce produit particulier des disciplines des Langues, fruit d'une évolution interne et postérieure à langue et à littérature, et à étranger (voir aussi, certainement, comment cette histoire n'est pas synchrone : d'après ce que je devine des potentiels des différentes "aires", l'Anglais devrait s'y être mis avant l'Allemand, par exemple : tropisme sociologique du premier le poussant dans une autre direction que le linguistique et littéraire, philologique, de l'autre).
. Et d'ailleurs : comment de "littérature étrangère" (au singulier initialement) on passe à "Langues". La question est entée sur cette autre voisine : comment se met en place le partage entre enseignement de langue et enseignement de littérature? Avec ses réalisations pratiques, sociologiques, différenciées - maîtres de langue, maîtres de conférence, professeurs, préparation progressive aux diplômes et concours - les professeurs commençant à mettre la main à la pâte du côté de la langue.

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