Le Paradigme de l'étranger, de Michel Espagne, toujours une mine.
Le processus de "différenciation" de la "littérature étrangère" aux littératures singulières, aux "aires culturelles", et aux champs disciplinaires découpés selon "langue-et-littérature-nationale", reste difficile à percevoir dans sa logique historique culturelle exacte.
L'une des plaques tournantes est certainement Mme de Staël, qui met en différentiel un romantisme allemand héritier de la Réforme et la tradition catholique et hégémonique du classicisme français. C'est l'histoire politique parallèle et rivale de la France et de l'Allemagne qui s'y déroule, sur 150 ans d'épopée par la science littéraire. Mais la complexité de ce nouage est riche encore et encore.
. par exemple : qu'est-ce qui préexiste donc aux "littératures étrangères", comme entités nationales et propres à disciplinarisation, institutionnalisation universitaire et culturelle? Avant la carte littéraire européenne des Etats-nations (une Europe pré-nationale), qui est celle qui se fabrique graduellement, différentiellement, au long du long XIXème siècle (1848 : époque des nationalités) : la République des lettres? Les clercs - et donc en effet un fil du côté de l'Eglise, système culturel-politique trans-national et européen. Les lettres humanistes, prolongées depuis la Renaissance, phénomène de nouvelle production de l'Europe - l'Europe produite comme monde au moment de la découverte du Nouveau Monde ; l'Europe bien sûr produit du colonialisme européen, et donc du commerce de l'étranger, intra et inter - dans une modernité qui prend sa source en proto-Italie et diffuse en latin. Les milieux aristocratiques qui sans doute voyagent entre les cours royales.
. la notion de littérature étrangère, quand elle devient "littérature anglaise (etc.)" et "comparée, se déplace déjà dans un nouveau milieu, post-révolutionnaire. L'Europe, comme ensemble d'Etats-nations européens, est post-révolutionnaire, et graduellement-démocratique (ou est-ce : républicaine?) : avant elle il y a l'hégémonie culturelle française, qui diffuse en français, et dans la forme du goût - classique, universaliste puisque esthétique, littéraire et critique. Contre elle il y a l'émergence de la notion de culture comme contre-culture allemande, romantique et philologique ; qui joue la culture comme nécessairement les cultures contre l'universalisme colonialiste du goût et des Belles-Lettres. "Historisation du goût", écrit Espagne. Et question du peuple - "affaire du peuple" (Kafka). D'où les folkorismes du XIXème, et ses sciences ethnologiques.
(Puis, bien entendu, le déraillement historique de l'Empire. Avec les tensions qui font une figure comme Mme de Staël.)
. la littérature dans ses déroulements des cultures aristocratiques aux démocratiques - et de sa place sociale du privé au culturel. La démocratie par la "culture", concept actif et modelant ; inscrivant des institutions et des modes de pensée.
. à regarder aussi, la question de la littérature comme instrumentale dans le rapport entre républicanisme et libéralisme. Le concept de "culture", concept libéral - qui va avec l'université libérale issue par ex. du libéralisme de Humboldt, etc.
La littérature, naturellement, non le reflet de cette histoire mais participant de cette histoire.
Les sciences de l'Europe : les savoirs - formes de langue, formations discursives et institutions - productrices d'Europe.
A lier à Husserl, et la Krisis.
Une Europe de ces sciences. Produite, constituée, par elles. Par "Bildung", et De l'Allemagne, et l'invention de l'indo-européen, de la littérature étrangère, etc.
GROS LANCE-FLAMME ET MINUSCULE MOTION
Il y a 10 mois
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