samedi 5 février 2011

Pierre Rimbert sur critique et université

Contente de n'avoir, juste presque par chance, pas sauté la livraison Janvier du Diplo, pour l'article de Pierre Rimbert, "La pensée critique prisonnière de l'enclos universitaire. Enquête sur les intellectuels contestataires". Qui est passé lui-même par la moulinette éditoriale de soulignements et tiraillements médiatiques : l'éventuelle allusion au Lindenberg de 2002 n'aide pas ; ce n'est pas une enquête, etc.
Pierre Rimbert, journaliste, étude sur Libération et ses politiques d'ouverture au privé + réorientations éditoriales conséquentes (2005, à Liber - Raison d'agir). Membre d'Acrimed, créé en sillage de 1995, en dissidence des consensus médiatiques constitués à cette époque sur les mouvements. Action critique médias, donc. Associée à ATTAC. "Informer sur l'information". Et base professionnelle, material, du travail de journalisme. Son modèle économique, qui fait sa place sociale, et trace les termes de sa marge de manoeuvre.
Autres touches à cette zone de positionnement : les savoirs militants, qui viennent s'associer aux savoirs théoriques et professionnels. (Toutes expressions tirées de l'article sur Wikipédia - à tenir comme tel : quelle voix ? par quelles channels la vox populi, vox wiki?).
"Critique radicale", "critique intransigeante" : la question de professionnels, économiques, sociaux. la pratique des risques. Les prix de l'engagement. Radicalement important de prendre la question : par son historicité, soit ce qu'elle dit d'une actualité des rapports de pouvoir (de la critique y compris).
Actif et acteur remarqué au moment du Traité Constitution de l'Europe.
Cibles régulières du Plan B :L. Joffrin, Ph. Val, BHL, Attali, Plenel, Minc.
La "Sardonie".

P. Rimbert donc sur un état de la critique en début 2010s, sur base d'une dénonciation de l'emprise universitaire.
Tableau plein de points d'analyse bien pénétrants, d'une intelligence aux médiations culturelles bien formée bien trempée. Une pratique, un acquis d'analyse critique bien substantiel, sur ces terrains du rapport critique-politique. Des élucidations donc qui me sont très-précieuses. Ne serait-ce que pour l'énergie. Et le tact critique, pointu. Les zones où la visée s'épaissit étant celles où le travail est à prolonger, à dissider, relancer.

D'abord quelques traits de généalogie, qui sont des propositions plausibles, à cogiter, à faire travailler : d'une bascule de l'histoire critique - droitisations et émoussements des 1980s, leurs humanismes, et amont des médiatismes, Nouveaux philosophes contd. - en 1995, avec un nouveau coup, un peu nostalgique, du maillage militant-intellectuel (Bourdieu, l'Acrimed en découlant). La bascule de 1995 : éditoriale, et vers les succès de l'altermondialisme. L'intégration universitaire, aussi, comme professionnels de la critique, des "jeunes radicaux" découverts pendant 95.
Et oui, il me semble que c'est bien par l'histoire du rapport de l'intellectuel au PCF, cette base sociale de la critique, qu'il y a à prolonger pour saisir ces nouvelles situations générationnelles. Bien cette histoire à remailler, à partir de laquelle délinéer une actualité.

Une cartographie, selon deux pétitions (ici le répertoire sociologique cf. C. Charle) : traçage d'une ligne de clivage entre Esprit-Fondation Saint-Simon CFDT et syndicaux-associatifs, "nébuleuse contestataire" (le qualificatif, intéressant : quelle base sociale là? Quelle base matérielle, à "mouvement social", qui va devenir une forme de plus en plus "libéralisée", ou déterritorialisée, c'est selon - ces zones d'indistinction libéral-libertaire -?

Une séquence d'histoire éditoriale : la commercialisation, majoration, possible des travaux critiques, rendus au goût du jour et à la valeur sociale, par le travail et l'énergie nouvelle, conjuguée, des indépendants (Raisons d'agir, Agone, La Fabrique, Amsterdam, Prairies, Lignes [?]) et revues radicales (Agone [?], Contretemps, Mouvements, RILI, Vacarme), actif seuls jusqu'aux adoubements, autorisations culturelles, Rimbert le marque au Monde des livres du 26 novembre 2010 : "écritures insurgées", "style insurrectionnel" [qui dit? PR?].
Autorisation, légitimation.
"Insurgé", (et sa stylisation) : valeur comme déclinaison (par assourdissement des distinctions, glissement appropriatif, de "subversion" des 60s? et de "engagement" des 45-60s? La déclinaison se faisant bien sur le point du rapport à l'écriture, chaque fois. Les 60s marquaient ça par "écriture", l'époque Sartre par "la littérature" (et éventuellement par "les intellectuels"?).
Subversion à l'ENS, journée d'étude annoncée récemment. Bastions historiques ; où s'implantent des histoires et des inventions (rétrospectives, au sens de Mudimbe) de traditions.

Un caractère : par les traductions. Yes. Dont il fait sens par une histoire comparée des gauches radicales, et les différences entre "phénomène latin" des pays à histoire et implantation communiste fortes (France Italie, j'imagine, what else? Anderson pense-t-il ici à l'Amérique latine, nouvellement bolivariée?), et UK, US, RFA et Scandinavie, où "un marxisme renouvelé" (PR) a pu rester minoritaire et par là traverser les époques, autrement. Que par les abjurations des marxistes français, 80s. NLR, et les travaux des universitaires UK-US. Dont processus de relecture et traduction de RW, S. Hall, P. Anderson etc. Possible maintenant, bloquée en 1997 (Nora refuse Hobsbawm dans la "Bibliothèque des histoires", Gallimard.)
Des formes spécifiques, en effet aussi, inventées par ce moment politique, ou en contemporain de lui (en 1995 on est au profond de l'après-URSS, le temps d'avoir digéré, identifié les conséquences) : "fondations, coordinations permanentes, états généraux, 'boîtes à idées' : les solutions mises en oeuvre pour restaurer l'engrenage en dehors des moments d'effervescence sociale" ("n'ont guère abouti"). 26. Les nouvelles expériences d'à cheval entre "culture militante et culture savante".
Une référence, appui, (outre avec F. Cusset sur La Décennie) : Razmig Keucheyan, Hémisphère gauche, à La découverte, 2010.
Des aperçus, fenêtres!, chinks pour respirer! : "La contestation ne manque pas d'experts capables d'opposer les acquis de leurs spécialité à l'autorité des technocrates" : ici un noeud bien ficelé (27).

Mais le point de frein : sur la proposition qui reconduit la notion de limite, de dedans-dehors, relégitimant (au moins sans l'évoquer, mais on n'est pas aux Etats-Unis, le repère est plus facile à éviter) la Ivory tower, et la logique de la "trahison". Oui bon nouage encore sur la question de l'adresse, soit de l'agencement de publication : "Mais ils rencontrent vite la limite de la critique académique, son point aveugle : la question stratégique. Si elle avait dû soumettre ses textes ç l'approbation d'un comité de lecture d'une revue d'économie politique, Rosa Luxemburg n'aurait sans doute pas visé le même public ni poursuivi les mêmes fins. Organiser les masses, renverser l'ordre social, prendre le pouvoir ici et maintenant." (26) Où il y a encore à faire le départ, dans stratégique, entre politique et social, culturel. Invention de peuple, qui n'est pas la même chose que, et s'emmanche chaque fois distinctivement sur, pratique de la mobilisation du pouvoir.

Le dedans-dehors, limite traditionnelle (et sécrétion culturelle elle-même à situer, historicisable).
A prendre, à passer, par simplement la socialité, et une théorie de la culture, qui sache traverser entièrement le gué des médiations : l'idéologique et la praxis, etc. Par un matérialisme culturel, soit historicisme "radical" au sens de Saussure. A produire.
à suivre... par : actualité des luttes intellectuelles, base sociale, modèle économique, etc.

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